suite/ L'ENFANT ET LA LECTURE INTERACTIVE 2
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3 – Quand la pratique ne suit pas la théorie
Les arguments théoriques évoqués plus hauts, les expériences menées par ces équipes de chercheurs…semblent ouvrir des perspectives intéressantes pour amener certains enfants à la lecture.
Or, on constate que, dans la pratique, l’utilisation de l’ordinateur dans l’apprentissage de la langue écrite n’est pas aussi généralisée que l’on pourrait l’imaginer.
Même si les parents sont très friands des nouveaux logiciels dit "d’accompagnement scolaire " qui envahissent les linéaires, dans les écoles, ce sont les logiciels ELMO et ELSA conçus par l’AFL
(Association Française pour la Lecture) qui dominent encore le marché. Non pas que je conteste leur qualité en terme de pratique de la lecture mais ces logiciels ont 20 ans, et en terme
d’exploitation du multimédia, on peut sûrement trouver plus convaincant !
Cet exemple reflète bien la tendance qui régit l’institution scolaire : rien ne se fait dans la précipitation !
Célestin Freinet a été le premier à la fin des années 50, à penser que l’imprimerie pouvait être utiliser dans l’apprentissage de l’écriture et surtout pour la conservation et la diffusion des
productions écrites d’enfants.
La pédagogie Freinet est apparue comme une révolution dans un système éducatif aux principes rigides et aux techniques d’apprentissages ancestrales (l’enfant scolarisé au début du siècle a appris
à lire rigoureusement de la même façon que son ancêtre en Grèce Antique !)
Et évidemment, comme beaucoup de nouveaux concepts, elle a été généralement mal accueillie.
Aujourd’hui l’imprimerie a été remplacée par le traitement de texte, son utilisation s’est généralisée dans les écoles et son emploi s’est diversifié mais…on est encore en train de démontré le
bienfait de cette pédagogie qui, un demi-siècle après sa création, est encore considéré comme "Pédagogie nouvelle " !
Pourtant la plupart des pédagogues sont convaincus de l’intérêt de la production de textes libres, collectifs, conservés et diffusés grâce à l’ordinateur. C’est ce que confirme Carole Tisset,
maître de conférence en sciences du Langage à l’IUFM de Versailles et auteur de Apprendre à lire au cycle 2 :
" Freinet a transformé radicalement la pédagogie en montrant que l’enfant pouvait se donner entièrement à une activité scolaire mais motivée quand elle libère en lui son énergie et son besoin
d’agir ".
Pourquoi a-t-on si peur de mettre les enfants devant des ordinateurs dans l’apprentissage de l’écrit ?
Les craintes vis à vis de l’ordinateur se situe à deux niveaux.
Le premier est lié à l’objet lui-même qui suscite encore de nombreux a priori comme l’ont connu avant lui les médias et autres nouvelles technologies.
Ces appréhensions sont aussi dues à la mauvaise réputation que se sont forgée les jeux vidéo ces dernières années qui se répercutent sur leur support de visualisation : l’écran.
La crainte la plus courante concerne l’isolement.
On a peur que les enfants, attirés par le coin ordinateur, ne délaissent d’autres activités considérées importantes pour le développement et réduisent les dépenses physiques. Perçue comme une
activité individuelle et solitaire, on craint que l’ordinateur favorise des comportements antisociaux et gène le développement affectif et émotionnel. Or, lors d’une étude approfondie menée par
Hawkins en 1983, il a été observé que, loin d’être un instrument d’individualisation, l’ordinateur offre des situations d’apprentissage de groupe, dans lesquelles les nombreuses interactions
permettent un succès partagé. Rachel Cohen appuie ce constat quelques années plus tard :
" L’ordinateur devient un lieu convivial de recherche et de mise en commun de découverte et d’expériences. Loin d’isoler l’enfant, il favorise l’interaction et stimule la collaboration ".
On craint aussi que l’ordinateur en tant que bien de consommation renforce les inégalités économiques et sociales entre ceux qui en possèdent et ceux qui n’en ont pas.
Cette inquiétude semble justifiée car elle s’est vérifiée pour de nombreux biens de consommation.
C’est pourquoi l’école doit jouer son rôle d’apprentissage et combler d’éventuelles inégalités en donnant l’accès à ces nouvelles technologies. Mais ce point sera développé ultérieurement.
Enfin, la crainte d’un renforcement des inégalités entre fille et garçon ressort aussi des enquêtes.
Non seulement l’informatique est un secteur qui attire plus les garçons mais le jeu vidéo est souvent le premier moyen qu’a l’enfant d’entrer en contact avec le support informatique. Or, nous
savons tous que le marché du jeu vidéo cible encore en priorité une population masculine.
Mais cette prétendue inégalité est peu à peu en train de se résorber. Internet, parce qu’il rend possible la communication à distance avec autrui, séduit de plus en plus un public féminin,
sociologiquement plus attaché que les hommes à ce genre de valeur.
Quant au cédéroms ludo-éducatifs, les activités proposées sont unisexes, font appel à des qualités d’observations, de compréhension et d’écoute auxquelles les filles sont mêmes plus
réceptives.
D’ailleurs, j’ai pu constater ce renversement de situation en observant la composition des ateliers informatiques de l’école Daumesnil : treize filles pour deux garçons en Grande section de
maternelle !
Plus que l’ordinateur, les conséquences présumées liées à son utilisation dans l’apprentissage de l’écrit motive de nombreuses craintes, notamment dans le milieu éducatif.
Va –t -on assister à une disparition de l’écriture manuscrite ? Que deviennent les méthodes traditionnelles de rédaction ? La pédagogie de l’orthographe va-t-elle être mise en danger ?
La crainte que l’enfant, face à la jouissance que représente sa production d’écrits parfaits, délaisse, voir méprise l’écriture manuscrite est encore bien réelle.
Or il est désormais prouvé que l’utilisation de l’ordinateur dans la production d’écrit peut réconcilier l’enfant avec l’écriture et par transfert, motiver son intérêt pour la langue écrite en
général (Etudes menées par Rachel Cohen).
L’écriture manuscrite et le traitement de texte sont des activités complémentaires et en rien antinomiques.
Il en est de même pour la lecture interactive et la lecture traditionnelle.
L’ordinateur n’est pas une baguette magique. Parents, enseignants on tendance à oublier que l’ordinateur n’est qu’un support qui rend possible une certaine représentation des données
(interactivité, multimédia …) mais les vertus de l’ordinateur ne dépendent évidemment que des programmes qu’on y insère.
En 1986, Umberto Eco pensait que l’ordinateur conduirait, par la facilité qu’il donne à déplacer des blocs de textes, à une pensée par blocs, sans cohésions, ni connexions. Plus nuancé, il
estimait cinq ans plus tard que, pour la première fois dans l’histoire de l’écriture, on peut écrire plus vite qu’on ne pense.
Cet exemple montre bien que les idées évoluent et qu’on a toujours tendance à appréhender de façon négative un concept nouveau.
C – Lire des fictions interactives
Nous venons de voir que l’ordinateur pouvait être un formidable atout pour l’enfant dans sa découverte du langage écrit, mais nous avons vu également que celui-ci n’est qu’un support dont la
qualité dépend totalement du programme que nous y insérons.
Quand est-il des histoires interactives et hypertextes où l’enfant doit faire des choix et activer des liens pour progresser dans le récit ?
Quelles sont les véritables qualités de cette "littérature ", que peut-elle apporter à l’enfant dans sa découverte et son appréciation de la lecture ?
Quelle littérature interactive peut-on finalement proposer à un enfant ?
1 – Interactif, tu seras !
Livre interactif, conte interactif, fiction interactive, histoires interactives et programmes interactifs ! Dans la littérature enfantine, à la télévision, dans les argumentaires des cédéroms
ludo-éducatifs…l’interactivité est partout.
Mais d’où nous vient donc ce besoin d’agir et d’interagir sur nos supports de lecture ?
Ce besoin est peut-être simplement né au fur et à mesure qu’on se rendait compte des limites du support papier.
Nous avons vu que la littérature jeunesse essaye de sortir depuis longtemps du format classique du livre papier en se reposant sur l’argument que l’enfant a besoin d’agir sur son
environnement.
Dans une culture de plus en plus dominée par l’audiovisuel, l’image statique ou animée a pris de l’importance et est d’avantage considérée comme une source d’information. Pour le jeune enfant,
elle est même primordiale car c’est elle qui raconte l’histoire, elle est une source d’étonnement, de plaisir.
En même temps que l’on s’intéressait à l’image, on s’est aussi rendu compte de ses limites. Face aux images du cinéma ou de la télévision nous avons un statut de spectateur. Avec l’émergence des
jeux vidéo il y a une vingtaine d’années, on a découvert peu à peu que l’image n’avait pas toujours une valeur illustrative ou informative mais qu’on pouvait agir sur elle. Ainsi est né peu à peu
notre désir d’agir sur l’image, de la manipuler et nous avons commencé à ressentir une certaine frustration à ne pouvoir le faire aussi sur nos écrans de télévision. Le foisonnement récent de
chaînes thématiques sur câble et satellite rend possible des expériences de télévision interactive (téléachat, réalisation individuelle de programmes sportifs, films à la demande…) mais on est
encore loin de ce que permet le multimédia sur support informatique.
Les gens ont néanmoins de moins en moins envie de "subir " les programmes qui leurs sont donnés à voir ou à lire mais veulent aussi agir sur ces données. Il est prévisible que les enfants de la
génération actuelle, qui auront été habituée à lire sur des formats, des matières, des supports et selon des modes de lectures différents, souhaiteront retrouver cette pluralité de lectures en
vieillissant.
Pourquoi est-ce si bien l’interactivité ?
L’interactivité est l’argument phare des programmes ludo-éducatifs proposés aux enfants et surtout des livres animés sur support électronique. On a l’impression que l’argument "interactivité "
est à lui seul suffisamment convaincant pour faire vendre.
Pourquoi l’interactivité est-elle donc si bien pour l’enfant ?
On imagine facilement une réponse en cœur qui pourrait ressembler à : " parce qu’en permettant d’agir réellement sur le récit, elle rend possible une implication et une autonomie plus importante
". L’individu, en agissant sur l’interface, agit en fait sur la forme et l’ordre de l’information qui lui est proposé et rend ainsi sa navigation active.
Cette approche du texte par tâtonnement semble correspondre tout à fait au besoin de découverte du jeune enfant qui, actif, s’implique beaucoup plus dans le récit. Et qui dit plus grande
implication dit aussi meilleure compréhension. Ce lien de cause à effet qui relève de la logique est une dimension essentielle pour un enfant qui découvre la lecture et qui a tendance à la
considérer comme un acte purement scolaire.
On s’est rendu compte qu’avec des programmes interactifs, des enfants pouvaient apprendre plus vite, c’est pourquoi l’interactivité peut être, à mon avis, considérée comme un tremplin attractif
vers la lecture là où des méthodes traditionnelles ont échoué.
La double interactivité du document hypermédia
Si personne ne nie l’interactivité du document hypermédia, on peut contester le fait qu’il en ait le monopole. Après tout, toute lecture est interactive. Toute lecture est questionnement du texte
par le lecteur et par conséquent interaction. Une lecture n’est jamais vraiment passive.
Seulement, on pourrait préciser que, contrairement à l’interaction avec un texte classique qui est mentale, l’interactivité avec le document hypermédia multimédia est sensitive et presque
palpable. Activer un lien son engendre une action immédiate et perceptible qui est l’enclenchement de la bande sonore. On clique sur une image et on voit l’animation se mettre en route. On clique
sur un lien hypertexte et s’affiche à l’écran notre choix.
L’interaction mentale existe aussi avec le document hypermédia, elle est même, à mon avis, d’avantage stimulée qu’avec un texte classique. Quand on lit un texte, on est libre de s’interroger sur
son contenu ou non, rien n’empêche le lecteur de lire de façon passive sans se poser la moindre question. Alors qu’avec le document hypermédia la réflexion, la logique, le pouvoir de décision du
lecteur sont sans cesse sollicités : " Je choisis cette direction ou bien celle là ? " , " J’utilise cet objet ou bien celui-ci ? "
L’interactivité est double et permanente comme jamais elle ne pourrait l’être avec un livre classique.
C’est ce caractère immédiat, palpable, cette sollicitation mentale, physique et permanente du lecteur qui en fait, à mon avis, un véritable atout pour l’enfant dans sa découverte de la
lecture.
Une petite mise au point…
Cette conception de l’interactivité n’a évidemment de sens que si l’interaction entre le texte et le lecteur est réalisée de façon intelligente. L’interactivité est bénéfique pour l’enfant que si
l’activation d’un lien est précédée d’une phase d’observation, de réflexion, d’écoute, de logique…
Cliquer sur une flèche ou sur n’importe quelle autre icône pour accéder à l’écran suivant n’a rien à voir avec de l’interactivité. Cela revient à tourner les pages d’un livre, or,
malheureusement, ce type d’interactivité, que l’on pourrait qualifier de "primaire ", caractérise encore les productions, dites interactives, proposées aux enfants sur cédéroms et sur
Internet.
L’interactivité est pour moi totale quand le lecteur devient créateur.
2 – Ce que change le document hypermédia dans notre rapport à l’écrit
Que se passe-t-il quand on décide de lire un livre ?
On choisit un livre dans sa bibliothèque, on s’installe confortablement avec le livre sur ses genoux et on considèrera que 99% des individus ouvriront la première page la liront de haut en bas,
la tourneront et ainsi de suite jusqu’à la dernière.
Que se passe-t-il quand on lit un document hypermédia ?
On choisit un cédérom ou un site Internet que l’on visualise sur son écran d’ordinateur.
On se retrouve devant un écran rempli de texte et/ou d’images sur lesquels figurent des liens que l’on est invité à activer. Pour cela on n’entre pas directement en contact avec le support mais
on utilise une souris. On active ce lien et on se retrouve sur un autre écran et ainsi de suite.
Jusque là, rien de bien sorcier.
Que se passe-t-il alors si on désire revenir à la page précédente ? Ou bien lire la dernière page de l’histoire?
Avec un livre classique, la solution est simple.
L’opération devient beaucoup plus délicate avec un document hypermédia.
Bref, cette démonstration révèle qu ‘en quelques minutes, le lecteur d’un document hypermédia perd ses repères de lecture habituelle et expérimente les caractéristiques fondamentales du document
hypermédia : l’immatérialité, la non-linéarité et l’absence de vision globale du récit.
Le document hypermédia est immatériel.
Le texte n’a plus de support solide mais un support virtuel sur lequel on agit indirectement par l’intermédiaire d’une souris. Le livre électronique perd aussi sa dimension de volume.
Or le livre est un objet que l’enfant prend plaisir à manipuler dès sa petite enfance. Il entretient avec lui un contact sensuel où plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte : le choix du
papier, la forme du livre, les dessins, l’odeur…La part des sens dans sa lecture prend encore une valeur plus significative dans la consultation d’un livre animé où l’enfant tire physiquement sur
une languette, actionne réellement un mécanisme.
Avec le document hypermédia, l’enfant est virtuellement actif.
Je me suis demandée si ce concept d’immatérialité était difficile à assimiler pour un enfant qui a souvent un rapport très affectif avec l’objet livre.
De mes entretiens avec une vingtaine d’enfants âgés de 5 à 7 ans, j’ai constaté que l’immatérialité est un concept assez difficile à appréhender pour eux qui n’ont pas toujours accès à une pensée
abstraite.
Aucun enfant ne paraît gêné par le fait de ne pouvoir "tenir l’histoire dans ses mains ".
Pour eux, le texte n’est pas "collé " sur un papier mais sur un écran.
Où est la différence ?
L’enfant ne peut pas tenir le texte entre ses mains, ni l’emporter n’importe où mais, après tout, il se retrouve face à une surface lisse et plane. Et l’espace de texte est délimité par l’écran
exactement comme la page d’un livre.
L’enfant ne se rend, par conséquent, pas compte de l’immatérialité du texte à l’écran tant qu’il est devant.
Par contre, alors que l’on retrouve toujours le même contenu dans un livre, l’enfant peut être désappointé de ne pas retrouver immédiatement l’histoire lorsqu’il allume un ordinateur. L’enfant
qui veut lire et relire une histoire qui lui plaît se contente de la saisir dans sa bibliothèque. Sur Internet, s’il veut retrouver une histoire qui lui a plu, il faudra qu’il se lance dans une
démarche plus complexe et moins immédiate. Cette opération deviendra même ardue s’il n’a pas pris la peine de noter l’adresse ou le nom du site.
Contrairement au livre où l’on a un support pour un contenu, avec l’ordinateur ; on se retrouve avec un support pour une multitude de contenus.
Mais cette ubiquité du support est un concept rapidement assimilé par l’enfant habitué au zapping et aux consoles de jeux.
Avec le document hypermédia on n’a aucune vision globale du récit
" La difficulté majeure, à mon sens, provient de ce que l’on ne peut pas lire la totalité du texte. " disait Michel Bernard, dans son ouvrage Lire l’hypertexte.
Avec un livre on peut accéder très rapidement à la fin du récit, il est beaucoup plus difficile voir impossible de le faire avec un document hypermédia. On ne sait pas toujours bien où on
commence, mais encore moins où et comment on finit. On ne sait même s’il y a une fin…ou plusieurs.
Le fait de n’avoir q’une vision parcellisée du récit (la surface de l’écran devant nos yeux) nous donne l’impression que la lecture va réellement se vivre comme un parcours, que nous allons
évoluer d’étapes en étapes.
Cela peut éveiller notre curiosité et participer au plaisir de la lecture mais aussi nous agacer. J’ai également interrogé des enfants afin de savoir si ne pas connaître à l’avance la longueur du
récit qu’il lisait était un facteur important pour eux.
Les avis sont nettement partagés.
Pour certains, cela n’a aucune importance mais "oui, ça m’embête " me répond Sammy et "j’aime bien savoir avant comment elle est longue l’histoire " me dit Léa, 6 ans.
Cette caractéristique détermine à mon avis le format d’un document hypermédia destiné à un enfant : il doit être court pour ne pas lasser.
Je conteste par contre le caractère non-linéaire qu’on attribue aux document hypermédias.
Le texte est certes non linéaire dans l’espace mais il l’est souvent dans le contenu. L’auteur de l’hypertexte a respecté une certaine linéarité dans son récit, celle de l’histoire sans laquelle
l’ensemble n’aurait aucune cohérence.
Avec le document hypermédia on ne relit jamais le même récit
" Chaque lecture fait miroiter des figures et des formes qui naissent et meurent dans un renouvellement perpétuel " (L’hypertexte de fiction : naissance d’un nouveau genre, Jean
Clément.)
Il y a autant de vision d’un livre que de lecteur. Mais, a priori, une personne qui relit un livre le lira de la même manière et en aura, à peu de chose près, la même vision.
Par contre, une personne qui relira un document hypermédias pourra choisir d’autres liens au cours de sa lecture, ce qui lui donnera une vision du récit totalement différente.
Cette caractéristique est très importante pour les enfants. Les enfants aiment lire et relire les histoires qui leur plaisent. Ils peuvent le faire avec un hypertexte.
Claude Marc, instituteur et auteur du site d’histoires interactives Claude et ses amis, a expérimenté ses histoires sur des élèves. Il a constaté que les enfants prenaient énormément de plaisir à
recommencer les histoires juste pour voir ce qui se serait passé s’ils avaient choisi une autre direction.
Avec le document hypermédia, le plaisir de la relecture semble donc accru pour les enfants.
3 – Le statut particulier du lecteur
L’interactivité du document hypermédia place le lecteur dans une situation jamais égalée avec le livre classique.
Face à la lecture d’un document sur ordinateur, le lecteur peut être tour a tour lecteur passif et actif.
Il est spectateur quand il regarde l’animation qu’il a déclenchée à l’écran, il s’implique d’avantage quand il entre en interaction avec des éléments que le dispositif crée à son intention. Le
lecteur devient réellement actif lorsqu’on fait appel à son imagination, à sa création personnelle en devenant scripteur.
Et le lecteur peut être tour à tour spectateur, acteur et scripteur dans un même document hypermédia.
Ce schéma de lecture valorise le lecteur qui sait que c’est son activité participative qui donne vie et sens au document. Il acquiert un sentiment de puissance : celui d’être maître de son
récit.
" En effet, la suite des pages telle que je l’ai définie en cliquant sur tel ou tel bouton m’est personnelle. Peut-être qu’aucun lecteur ne parcourra-t-il le même chemin ?
La jouissance du lecteur est faite aussi de cette impression d’appropriation du texte.
On a souvent dit que, dans un spectacle, c’est le public qui a du talent. Faut-il attribuer à l’hypertexte une forme de génie littéraire, puisque c’est sa lecture qui produit du sens " (Lire
l’hypertexte, Michel Bernard.)
Alors que face à un texte classique, le lecteur reçoit le texte qui lui est donné à lire dans un ordre déterminé à l’avance et sans avoir la possibilité d’intervenir sur l’écriture du texte même,
certains dispositifs hypertextes encourage la lecture/écriture.
Le lecteur peut intervenir sur le texte même de l’auteur en y mêlant sa propre écriture (choix du nom du héros, imaginer la suite de l’histoire…) ce qui contribue à sérieusement limiter la
séparation habituelle entre le lecteur et l’auteur.
En ayant la possibilité de devenir à son tour auteur et en construisant le cheminement de son récit, le lecteur du document hypermédia finit par se sentir coauteur.
On supprime avec l’hypertexte cette notion d’auteur unique. Surtout que, parfois, seulement une partie de ce qui a été écrit par l’auteur est lu par le lecteur.
La notion de lecteur-auteur prend alors toute sa dimension.
D’ailleurs pour montrer que le lecteur d’un hypertexte est un lecteur d’un genre nouveau, George Landow a crée le mot "wreader " pour le définir, mot valise que l’on pourrait traduire selon
Michel Bernard par "laucteur ".
Cette liberté de lecture, ce pouvoir de décision dans le cheminement du récit permet à l’enfant de se sentir encore plus impliqué et donc plus motivé dans sa lecture.
D’ailleurs Christian Poslaniec rappelle que pour donner à un enfant le goût de lire "il ne faut pas le contraindre dans sa lecture, ne pas lui imposer un sens canonique à un texte ni un rythme de
lecture particulier". (Donner le goût de lire, Christian Poslaniec, Editions du Sorbier, Paris, 1990.)
Quant à faire de l’enfant lecteur un coauteur de son récit, Célestin Freinet a démontré, il y a déjà quarante ans, qu’un enfant était beaucoup plus motivé par la lecture lorsqu’il pouvait
participer à l’écriture de ce qui lui est donné à lire.
D – Quelle littérature interactive peut-on proposer à des enfants ?
" Après avoir lu un hypertexte de fiction, le lecteur a, certes, une idée de ce dont il est question mais il est incapable d’en raconter l’histoire. D’abord parce qu’il n’en a lu que des bribes.
Ensuite, parce qu’il les a lus dans un ordre parfois illogique. Enfin, parce qu’il y a plusieurs histoires ou que, peut-être, il n’y en a pas
[…]
Dans l’hypertexte, le lecteur est comme un vaisseau spatial lancé dans le cosmos. Il peut suivre la trajectoire que lui impose son inertie, mais il peut aussi être attiré par la force
d’attraction des planètes qu’il côtoie et se laisser prendre dans leur orbite. Il risque alors d’errer de galaxie en galaxie. Car quitter le fil d’une histoire en cours de route, comme y
invitent, dans l’hypertexte, les mots qui servent à déclencher les liens, c’est perdre les repères construits par la lecture et débarquer dans une nouvelle histoire sans avoir comment elle a
commencé. "
Il semble difficile de proposer à un enfant une véritable fiction hypertexte telle qu’elle est définie ici par Jean Clément dans L’hypertexte de fiction : naissance d’un nouveau genre.
Il paraît, a priori, difficile de confronter un enfant qui n’a quasiment aucun passé littéraire à un récit sans début ni fin, qui exige, à mon avis, une certaine maturité littéraire.
Quel type de documents hypermédias peut -on alors proposer à des enfants et quelles règles doit-on respecter si l’on veut proposer une production interactive accessible aux plus jeunes ?
1 – L’enfant peut-il tout simplement lire l’hypertexte ?
On tendance à croire que la lecture d’un hypertexte est plus facile et plus naturelle que la lecture linéaire sur support papier. Cette croyance nous vient de quelques chercheurs qui sont
persuadés que l’hypertexte reproduit "notre mode de pensée associatif " (Texte et ordinateur : l’écriture réinventée ? Jacques Anis, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 1998, Collection Méthodes en Sciences Humaines.)
" Nous pensons en hypertexte " disait Nelson, son "inventeur " en 1972.
Or, il n’y a encore aujourd’hui, aucune preuve à ce sujet. On ne sait pas encore de façon exacte et définitive quels sont les impacts des documents hypermédias sur le processus de lecture et de
compréhension car peu d’études ont été faites à ce sujet.
Par contre, les recherches en psychologie cognitive ont mis en relief les pré-requis nécessaires à la compréhension d’un texte. Il est par conséquent possible de tirer profits de ses recherches
pour les adapter à l’hypertexte.
Comprendre un texte est une activité cognitive complexe. Selon J. Rouet (Chargé de recherche au CNRS et auteur du chapitre Le lecteur face à l’hypertexte, p.165 à
180 de l’ouvrage Apprendre à lire avec les multimédias où en est-on ? sous la direction de Jacques Crinon et Christian Gautellier, Pédagogie Retz, Paris, 1997), des recherches
récentes montrent que l’hypertexte peut se révéler être "un vrai casse-tête " pour des utilisateurs débutants, surtout du à la perte de repères discursifs présents dans les textes ordinaires.
Nous sommes bien obligé d’appréhender l’hypertexte avec nos repères classiques de lecture.
Comment abordons-nous un texte qui nous est donné à lire ?
En psychologie cognitive, on conçoit généralement la compréhension d’un texte comme la construction par le lecteur d’une représentation interne de la situation évoquée par le texte. Pour cela, le
lecteur, en identifiant les mots et leurs organisations au sein des phrases, se constitue une représentation littérale du contenu du texte, et en sélectionnant et organisant les informations
importantes, se construit une représentation condensée et hiérarchisée des informations du texte.
Ces deux processus sont très sensibles à l’organisation des informations dans le texte. Donc tout ce qui fait la cohérence du texte facilite grandement sa compréhension. La linéarité des textes,
en garantissant la continuité des idées exprimées, constitue donc le plus souvent un aide précieuse pour le lecteur.
Comprendre c’est aussi construire une représentation plus globale de la situation décrite. Pour cela, le lecteur doit compléter l’information du texte avec ce qu’il connaît déjà.
La compréhension naît donc aussi de l’interaction entre les informations apportées par le texte et les connaissances initiales du lecteur.
De quels pré-requis a-t-on besoin pour comprendre un texte ?
Nous avons besoin de connaissances en rapport avec le contenu du texte (concept, vocabulaire…) et de connaissances rhétoriques portant sur l’organisation typique des textes.
Tout texte se présente comme une entité composée de séquences qui remplissent des fonctions informatives distinctes (titres, paragraphes, chapitres…). Le lecteur repère ces structures et s’en
sert. L’absence d’une structure clairement identifiable peut être un handicap. Kintsch et Yarbrough sont deux auteurs qui ont montré qu’un texte est compris plus facilement s’il est construit de
façon habituelle.
Mais qu’en est-il de l’enfant qui débute dans l’apprentissage de la lecture ?
J’ai tendance à penser que cette perte de repères va être encore plus flagrante pour lui, mais je peux aussi me dire que n’ayant pas vraiment de repères de lecture ancrés et acquis, il est
beaucoup plus malléable et peut sûrement mieux s’adapter à un système hypertexte….
De plus, comme je le disais plus haut, ce n’est pas parce qu’un document hypermédia propose plusieurs choix qu’il ne respecte pas une certaine linéarité et cohérence dans son histoire. Chaque
écran est pour l’enfant un bloc de texte correspondant à un paragraphe ou un chapitre, délimité par l’écran comme il le serait sur la page d’un livre. Quand l’enfant passe d’un écran à l’autre,
c’est comme s’il passait d’une page à l’autre, la seule différence est qu’il a choisi la page qu’il voulait "tourner ".
Mais n’ayant aucune réponse à ce sujet, il semble préférable de respecter certaines règles et une structure d’ordinaire nécessaires à la compréhension d’un texte.
2 – Comment rester lisible ?
Du fait de sa structure fragmentée, l’information contenue dans un document hypermédia est éclatée. D’une unité d’information donnée, il est possible d’atteindre un certain nombre d’autres unités
d’information. Le danger pour le lecteur est alors de s’égarer dans sa lecture d'hypertexte si la structure du document hypermédia n’est pas suffisamment directive. D’un autre côté, une structure
trop directive rapproche l’hypertexte d’un document linéaire traditionnel.
Il faudra essayer de trouver un juste milieu et respecter certaines règles pour ne pas perdre le lecteur.
Nous avons vu que la cohérence entre les différentes unités d’informations qui nous sont données à lire est un facteur déterminant à la lisibilité.
Il faudra respecter une certaine cohérence locale qui permet au lecteur de ne pas perdre le fil de son raisonnement. Cette cohérence est conservée dans le cas d’un texte linéaire alors qu’elle ne
l’est pas toujours dans un document hypermédia ou l’on a tendance à sauter d’un thème à l’autre.
Il faudra s’assurer la conservation d’une cohérence globale en proposant un plan du site ou un sommaire détaillé accessible en permanence. Le lecteur peut ainsi visualiser globalement ce que le
site ou le cédérom lui propose. L’utilisation d’un code couleur pour chaque partie, d’un personnage ou d’un objet récurrent qui guide le lecteur dans son cheminement…peuvent être aussi des
repères utiles.
Savoir identifier les liens
Une des principales nouveautés dans la lecture d’un document hypermédia est que l’on progresse par l’intermédiaire de liens. Ces liens sont de natures diverses. Un lien peut donner accès à un
nœud approfondissant tel ou tel aspect du nœud précédent, il peut ouvrir une fenêtre contenant un son, une image ou une vidéo, il peut aussi faire sortir de lecteur du récit dans lequel il se
trouve.
Etre capable d’identifier la nature de ces liens est un véritable atout pour le lecteur qui ne veut pas se perdre.
L’enfant, plus que l’adulte, a besoin d’indices qui manifestent cette cohérence entre l’unité d’information précédente, présente et suivante.
Ces indices sont textuels : un lien sur un chapitre d’un sommaire conduit à ce chapitre, un lien sur une question mène à la réponse…
Ils sont aussi visuels : une icône en forme de boîte aux lettres ouvre un boîte de dialogue, un lien sur une porte conduit à ce qui se passe derrière cette porte…
Les indices sonores sont aussi très présents dans les cédéroms d’histoires interactives proposés aux enfants.
Ces indications permettent au lecteur de prendre conscience du rapport entre l’unité qu’il est en train de lire et celle qu’il lira s’il suit tel ou tel cheminement, s’il clique sur tel ou tel
bouton.
Ces signes me paraissent déterminants pour ne pas perdre l’utilisateur dans la masse d’information et rester lisible.
C’est à l’auteur de l’hypertexte de respecter ces consignes pour que peu à peu se créé des repères de lecture propre au document hypermédia.
3 – Quel produit multimédia peut-on finalement proposer à un enfant ?
Après avoir distingué les caractéristiques des hypermédias et évalué les spécificités cognitives de l’enfant, il nous est plus aisé de faire un bilan et de citer les règles que doivent respecter
un bon livre électronique destiné à un enfant.
Parce que l’interactivité est la qualité fondamentale de l’hypermédia, la production multimédia devra multiplier les possibilités d’action face à l’écran, condition nécessaire pour vraiment
solliciter l’intervention de l’enfant.
Ainsi l’enfant pourra manipuler le rapport qui existe entre les mots et les choses par l’intermédiaires des images, modalités d’accès non négligeables à la notion de représentation.
Mais l’interactivité brandie par tous les éditeurs de cédéroms est un argument qui, à lui seul, ne suffit pas.
Cette interactivité, pour être bénéfique, doit susciter la réflexion, l’observation, la logique : l’enfant doit être mentalement et physiquement actif si l’on veut que l’implication soit
totale.
Ces deux points sont confirmés par J.P Carrier dans le chapitre 5 de " Apprendre avec le multimédia où en est-on ? " intitulé " Des CDRoms dans le biberon : le multimédia et l’éveil des
tout petits ".
J’ajouterai, au risque de me répéter que l’ordinateur n’est pas un livre. Ce n’est pas exploiter les qualités du multimédia telle que nous les avons vu que de reproduire un livre sur un
écran.
L’histoire interactive proposée à un enfant doit être courte, d’une part parce qu’un enfant peut être dérouté par un document dont il ne peut évaluer la longueur, il ne faut par conséquent pas le
lasser. Il est difficile de glisser un marque page entre deux pages html, si le lecteur veut stopper sa lecture, il devra, la plupart du temps, la reprendre dans son ensemble.
D’autre part, le confort visuel des écrans pourtant en voie d’amélioration, est loin d’atteindre celui d’une page correctement imprimée. La position nettement contrainte entraîne contractures et
fatigues, c’est pourquoi une moyenne d’une demi-heure par jour est recommandée à un enfant dont les stations prolongées ne sont pas conseillées. (Source :
Lecture sur écran : aspects psychologiques, rapport de T.Baccino, chercheur au laboratoire de psychologie expérimentale de Nice.)
Enfin, l’enfant doit se trouver devant une interface suffisamment clair sur le plan graphique, textuel et sonore pour qu’il comprenne rapidement ce qui lui est donné à faire et qu’il puisse être
autonome, comme il le serait devant un livre, un jeu vidéo ou la télévision.
Jusqu'à présent nous nous sommes intéressés à la lecture des hypermédia dans leur globalité. Nous avons vu que lire sur ordinateur
bouleversait nos repères de lecture classique et qu’il était recommandé de respecter certaines règles structurelles pour rester lisible par le plus grand nombre.
Qu’en est-il de la lecture d’hypermédia propre au réseau Internet ?
Aujourd’hui 10% de la population française utilise régulièrement Internet et cette tendance a doublé en 9 mois.
Il est prévisible que le réseau des réseaux devienne un outil déterminant pour l’enfant dans les années à venir tant pour des raisons personnelles (courrier électronique…) que scolaires
(recherches documentaires…)
Apprendre à lire sur ses nouveaux médias va devenir un enjeu tant social que culturel.
Une prise de conscience de l’intégration de ses nouvelles technologies dans l’enseignement se fait ressentir…mais que peut bien apporter le réseau dans l’apprentissage de l’écrit ?
A – Apprendre à lire les hypermédias : une nécessité ?
1 – Tu lis ? Non, je navigue.
" Comment en effet lire un tel texte ? Et d’abord est-il lisible ? " s’interrogeait Michel Bernard au sujet de l’hypertexte.
Nous avons vu que lire sur des hypermédias bouleversaient nos repères de lecture classique et cela semble encore plus flagrant lorsque nous consultons le réseau Internet.
La connaissance se présente sous des aspects multiformes et cette masse d’information soudain accrue impose des modes d’explorations et d’orientations avec lesquelles la lecture à quelque chose à
voir.
Car il s’agit bien de savoir lire cette masse d’informations.
Navigation, structure arborescente, hypertexte, toile, mots clés…sont autant de concepts nouveaux qu’il est nécessaire de s’approprier si l’on ne veut pas se perdre dans l’espace virtuel et
planétaire qu’est Internet.
Car lire sur Internet, ce n’est pas seulement savoir lire des structures hypertextes, dématérialisées et non linéaires mais c’est aussi :
Se familiariser à utiliser alternativement une lecture de recherche et une lecture de blocs d’informations. L’accès à la lecture n’est pas le même que lorsqu’on vous glisse un livre entre les
mains.
Savoir naviguer dans l’espace d’information, et pour cela, se familiariser avec les outils nécessaires à cette navigation comme les moteurs de recherches, les plans de sites…mais aussi les boutons de navigations propres au navigateur : page suivante et précédente, retour à la page d’accueil….
Savoir faire des choix. Car dans un cédérom, le lecteur arrive encore à se repérer et à ne pas trop se perdre dans un ensemble certes complexe mais quand même clos. Sur Internet, le corpus semble infini. L’internaute peut rarement se rendre en un clique à l’information désirée, sa décision est à tout moment sollicitée.
Il est à présent incontestable que les documents hypermédias bouleversent notre rapport à l’écrit, qu’il s’agit d’un nouveau mode de lecture
sélective, d’un nouveau savoir lire.
On imagine que ces caractéristiques du document hypermédia propre à Internet peuvent représenter de nouvelles difficultés pour l’enfant dans son apprentissage de l’écrit.
Serge Pouts-Lajus et Marielle Riche-Magnier pensent que la navigation hypermédia présente des risques bien réels comme " ne pas parvenir à bâtir un raisonnement, se laisser porter d’un sujet à un
autre sans effort d’approfondissement, s’égarer dans un discours éclaté." (L’école à l’heure d’Internet, Serge
Pouts-Lajus et Marielle Riche-Magnier, Nathan Pédagogie, Paris, 1998.)
Et " si l’élève n’est pas accompagné dans sa démarche, il y a peu de chances qu’il puisse tirer le moindre bénéfices de la consultation libre du monde foisonnant et chaotique d’Internet ".
Cette vision des choses relativement pessimiste confirme cependant que la lecture d’hypermédia n’est pas innée, elle nécessite un apprentissage, ou au moins une familiarisation de façon à la
rendre productive.
2 – Une question culturelle.
Avec Internet, l’individu désireux de lire et de se cultiver dispose d’un accès facile à une masse importante d’information stockée sous une forme virtuelle et planétaire.
Que nous le voulions ou non, les nouveaux médias et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) envahissent notre vie.
Il semble inutile d’ignorer les supports électroniques pour qui veut survivre au XXIe siècle.
Mieux vaut s’y adapter et assimiler dès aujourd’hui tous les bouleversements qu’ils engendrent dans notre rapport à l’écrit et à la connaissance.
" Maintenant le problème ce ne sont plus les connaissances, les savoirs, c’est l’accès à l’information ; et les nouvelles technologies servent d’instruments pour cela". (Jean-Pierre Archambault,
spécialiste des nouvelles technologies éducatives au CNDP - Centre National de Documentation Pédagogique- )
Internet devient un véritable élément de culture générale.
Et l’accès de cette culture au plus grand nombre devient par conséquent un problème de société.
Il semble nécessaire de trouver un moyen de donner accès à ces nouvelles technologies aux plus grands nombres si l’on ne veut pas que se dessinent trois types d’humains face aux nouveaux médias
comme le prophétise Umberto Eco :
" …un autre type d’analphabètes, sans accès aux nouveaux modes de la connaissance ; les navigateurs passifs ou compulsifs, intéressés ou avides, mais condamnés à l’éparpillement ; les nouveaux
lecteurs, conscients des structures, capables de choix et seuls profiteurs des systèmes complexes ".
Il est nécessaire de former les enfants au troisième de ces profils, sans quoi une nouvelle forme d’illettrisme, de nouvelles exclusions semblent inéluctables.
3 – Le rôle de l’école
Comme nous venons le voir, il est avec Internet, non seulement question d’un nouveau savoir lire mais également d’un nouvel accès à la connaissance.
Puisqu’il est question d’apprentissage et d’égalité face à la culture, il est difficile d’ignorer le rôle fondamental de l’école dans l’intégration des NTIC.
D’ailleurs cette opinion est rarement contestée.
" L’école doit intégrer au plus vite ces techniques […] Il serait catastrophique que des outils qui permettent la diffusion massive du savoir et ouvrent de nouveaux espaces de liberté soient au
contraire générateurs d’exclusion et de marginalisation d’une partie de la population. ", nous dit Jacques Anis. (Texte et ordinateur : l’écriture réinventée
?, Jacques Anis, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 1998 Collection Méthodes en sciences Humaines. p.272)
Et " …l’école, là aussi doit prévenir les nouvelle inégalités ", nous rappelle J.Mesnager. (Rédacteur du rapport de l’ONL intitulé Lecture, informatique et nouveaux médias, 1997.)
Même les politiques en sont convaincus : " Manipulation informatique dès la maternelle en ce qui concerne le dessin, courrier électronique dès le CE1, accès au web dès le CM1, travail en réseau
dès le collège, adresse personnelle électronique dès le bac. Voilà des objectifs clairs qui devront être atteints en l’an 2000 " nous disait le Ministre de l’Education Claude Allègre dans une
allocution télévisée le 17 novembre 1997.
Une récente enquête intitulée " Comment les enseignants et les élèves perçoivent-ils Internet à l’école ? " (Enquête réalisée par Démoscopie du 20 septembre au 15 octobre 1998 auprès de 428
enseignants et 648 parents d’élèves) a révélé qu’une majorité des enseignants pensent qu’Internet sera indispensable dans la vie professionnelle (70%), qu’il est nécessaire que tous les enfants
puissent utiliser Internet à l’école (78%) et que le réseau peut élargir le champ de connaissances (92%).
Si tout le monde semble convaincu de l’intérêt et la nécessité de l’intégration des NTIC à l’école, les avis diffèrent légèrement lorsque l’on s’entretient plus longuement avec les enseignants et
les parents.
Pourtant le concept est loin d’être nouveau. Il y a une dizaine d’année, le plan Informatique pour tous, qui comportait un volet télématique a été mis en place dans les écoles françaises, quant à
Internet, il pénètre depuis deux ans le système éducatif.
Mais non sans difficultés.
En 1998, seulement quelques centaines d’écoles primaires étaient connectées à Internet alors qu’elles se comptent par dizaine de milliers.
Cette difficile intégration des NTIC à l’école est due essentiellement à des raisons économiques (coûts des équipements…) mais elle est aussi d’ordre culturel.
Pourquoi certains redoutent-ils encore l’intégration des NTIC à l’école ?
Le problème de l’intégration des NTIC à l’école pourrait faire l’objet d’un mémoire à lui seul tant il est sujet à polémique. Nombreuses sont les associations de défenses ou de contestations qui
se sont créées sur Internet. (Par exemple : la vitrine APO (application pédagogique de l’Ordinateur), association qui a pour but de promouvoir et favoriser l’intégration des NTIC en éducation.
http://vitrine.ntic.org/vitrin)
J’ai eu l’occasion, au cours de la préparation de ce mémoire d’entrer en contact avec de nombreux enseignants. Les craintes des enseignants vis à vis des NTIC prennent plusieurs formes.
Ceux qui n’ont aucune connaissance informatique voit l’ordinateur comme une véritable menace qui va mettre en doute leur compétence. On leur demande de former leurs élèves aux NTIC mais qui va
les former, eux ?
Ces enseignants se sentent actuellement compétents dans leur domaine, avec leurs propres techniques d’apprentissages, le resteront-ils en y intégrant le multimédia ?
Pour beaucoup les nouvelles technologies peuvent faire partie de l’information mais pas de l’éducation car celle-ci nécessite un rapport humain. Il s’interroge sur la nécessité de renoncer à un
système éducatif qui a fait ses preuves au profit d’un système fait par des individus pas toujours qualifié (" quelles compétences pédagogiques réelles ont les éditeurs de cédéroms éducatifs ? "
m’a-t-on souvent demandé.)
D’autres s’inquiètent encore des connaissances fragmentées que génère les hypermédias, ou du fait que certaines matières qui se prêtent moins à l’utilisation de l’ordinateur se voient
défavorisées…
Ces craintes sont souvent justifiées mais polémiquer sur l’intégration des NTIC à l’école est, à mon avis, un faux débat. Ceux qui s’interrogent sur la nécessité d’acquisitions de ces
connaissances et leur validité sont ceux qui croient que le nouveau est censé supplanter l’ancien. On a tendance à présenter les NTIC à l’école comme d’éventuels successeurs aux enseignants, et
comme le dit Jean-Pierre Archambault :
" Si on commence à prendre bille en tête le corps enseignant en lui disant qu’avec les nouvelles technologies, on va vers une école sans enseignant, il est clair qu’on ne crée pas les conditions
d’une approche sereine ".
De même le support informatique n’est pas censé remplacer le support papier traditionnel. L’école ne doit pas choisir entre l’un et l’autre support.
Les enfants doivent apprendre à lire des livres traditionnels ET des documents hypermédias multimédias. Nous sommes engagés, et pour longtemps encore, dans une situation de
coexistence.
B – Que peut apporter Internet dans l’apprentissage de la langue écrite ?
L’institution scolaire a compris le rôle déterminant qu’elle avait à jouer dans l’intégration et l’acquisition des nouvelles technologies auprès du grand public. C’est par conséquent à l’école
que l’on trouve le plus d’expériences d’utilisation des NTIC dans l’apprentissage et notamment dans celui de la langue écrite.
1 – Internet : une certaine conception de l’écrit
A la question " Pourquoi l’ordinateur dans l’apprentissage de l’écrit ? ", Rachel Cohen répond :
" Il s’agit de créer autour de lui (l’enfant) un environnement stimulant qui permette une activité d’exploration, une attitude de découverte, une construction personnelle afin que l’écrit
devienne un outil de communication et d’expression pour réaliser des projets personnels et non un but en soi ". (Les jeunes enfants, la découverte de l’écrit et
l’ordinateur, PUF, Paris, 1987.)
Une activité de recherche et d’exploration qui précède une activité d’écriture dans un but de communication a autrui, n’est-ce pas exactement ce que rend possible le réseau Internet ?
Internet semble avoir trois atouts déterminants dans l’apprentissage de l’écrit.
Célestin Freinet avait compris il y cinquante ans, que l’enfant est d’avantage motivé dans son acte d’écriture quand celui-ci fait sens pour lui, quand écrire est un acte de communication.
Jacques Crinon, maître de conférence à l’IUFM de Créteil nous apprend qu’ " on apprend à lire en écrivant beaucoup, en écrivant tôt, en écrivant des textes qui s’adressent à des lecteurs ".
L’utilisation du courrier électronique est stimulant pour l’élève qui non seulement produit un texte lisible et sans rature, mais a aussi la motivation d’écrire pour être lu par d’autres élèves et adultes dans le monde entier.
" Les instituteurs qui travaillent avec les réseaux ne s’y trompent pas : une bonne utilisation des réseaux développe les talents d’écriture et de communication. Echanger sur le réseau, c’est apprendre à produire des messages rigoureux, concis et facilement interprétables. C’est aussi apprendre à questionner, à donner sens aux nouvelles informations, à collaborer. La communication entre élèves de classe et d’horizons différents développe la maîtrise de la langue écrite, le goût pour la coopération, la capacité à structurer l’information échangée ". (L’école à l’heure d’Internet – Les enjeux du multimédia dans l’éducation, Serge Pouts-Lajus, Marielle Riche-Magnier, Paris, 1998.)
Ainsi l’enfant expérimente la langue écrite comme outil de communication " vraie ". Cette conception de l’écriture dans un but de communication a du sens pour l ‘enfant et change considérablement sa motivation, et par conséquent, son intérêt pour l’écriture même.
" Lire et écrire sont des activités indissociables " signale le programme officiel de l’école primaire 1995. Nous avions déjà vu que l’ordinateur facilite cet aller et retour entre lire et écrire. Cette dimension est encore renforcée sur Internet où ces deux activités sont constamment liées : saisie de mots dans les moteurs de recherche, demande d’information par formulaires, rédaction de courrier électronique….
Nous avons constaté que le document hypermédia limite la séparation habituelle entre le lecteur et l’auteur. Sur Internet cette coopération est intensifiée puisque le lecteur peut entrer en contact direct avec son auteur et inversement. Il se crée un véritable échange, enrichissant pour l’enfant qui a besoin de créer un rapport affectif avec ses lectures.
2 – Effets positifs constatés
En France divers réseaux télématiques pédagogiques se sont développés grâce à Internet, comme Les Réseaux Buissonniers , qui regroupent une centaine d’écoles de l’Académie de Grenoble.
L’utilisation d’Internet à l’école se limite la plupart du temps au courrier électronique, en mai 1999, le Net des cartables , site d’information et ressources pédagogiques, n’avait recensé que
712 écoles primaires ou maternelles possédant leurs propres sites web.
Je suis rentrée en contact avec un vingtaine d’instituteurs qui croient au vertu pédagogique d’Internet dans l’apprentissage de la langue écrite, afin de mieux évaluer leur utilisation du réseau
et les effets qu’ils avaient déjà constatés sur l’apprentissage.
Recherche documentaire, correspondances entre élèves de classes et de pays différents, expérience d’écritures collectives, participation à la création du site…les utilisations d’Internet en
classe sont très diverses.
Que tous ceux qui redoutent une utilisation massive de l’ordinateur se rassure : l’utilisation de la technologie n’est qu’une étape de la création qui est précédé par de nombreuses phases, de
conception, de recherches, dans le cadre de projets collectifs où chaque enfant tient un rôle déterminé et développe son autonomie individuelle.
Suite à ces expériences en classe, tous les enseignants semblent unanimes : le réseau, parce qu’il encourage la diversification de productions soignées sur le plan linguistique et typographique,
améliore les compétences en lecture et écriture.
Ce constat est par ailleurs appuyé par le récent rapport de l’ONL intitulé " Lecture, informatique et multimédias ". Selon J.Mesnager, son auteur, certaines observations semblent montrer
que les compétences acquises par la lecture d’hypermédia sur Internet peuvent faire progresser les capacités de lecture en général.
3 – Les smileys ou Comment Internet a déjà bouleversé notre conception de l’écrit
Tous ceux qui communiquent par message électronique connaissent ces têtes faites de point virgule, deux point et parenthèses qui servent à " ponctuer " les messages. Entre lettre et téléphone,
l’e-mail a su se trouver une place toute particulière dans notre façon de communiquer.
Le message électronique est informel et court comme un coup de fil mais l’écriture ne permet pas toujours d’exprimer les nuances de la voix. Les smileys sont là pour donner vie à l’écrit et
indiquer à notre interlocuteur notre état d’esprit : déçu :o( triste :’o| complice ;o) content :o) ou très content :o)))))
Avec Internet, une nouvelle façon d’écrire et de communiquer se dessine, ajoutant une nouvelle dimension iconographique à l’acte d’écriture.
Mais certains reprochent déjà à l’écriture via Internet ses abréviations à tout va, ses tournures à la syntaxe douteuse, une grammaire et une orthographe revisitées, la disparition des accents…et
redoutent que la généralisation du courrier électronique fasse oublier à certains les règles d’écritures.
Internet est certes un formidable outil de communication mais ses qualités de valorisation de l’écrit reste sûrement à prouver…
C – Quand Internet invite les enfants à écrire
Internet en reliant les individus dans le monde entier facilite les expériences d’écritures collectives. Celles dédiées aux adultes sont aussi diverses que variées mais dans le cadre de ce
mémoire, je m’intéresserais uniquement aux sites qui invitent les enfants à écrire.
Les sites dédiées à l’écriture sur le web sont bien plus nombreux que les sites de lecture interactive.
La jeune génération est confrontée à la fois à la maîtrise de l’écrit et à la compréhension des nouvelles technologies. Les ateliers d’écritures sur Internet permettent de concilier ces deux
notions.
Le principe le plus couramment rencontré est de proposer à l’enfant le début d’une histoire dont il doit inventer la suite. Il rédige sa proposition par courrier électronique et à la satisfaction
de voir sa proposition publiée sur le site auprès d’autres productions d’enfants.
C’est le principe de La souris verte, " atelier d’écriture spécialement dédié aux enfants " qui propose plusieurs débuts d’histoire ou Thalia et les fleurs, site où chaque participant apporte sa
contribution à l’histoire.
Ces pratiques sollicitent l’imaginaire de l’enfant, sa créativité et l’incite à produire un texte à la syntaxe impeccable, tout en déscolarisant l’acte d’écriture.
Enfin…dans la théorie !
Dans la pratique, on constate que ces sites dédiés revendiquent clairement leurs objectifs pédagogiques et recherchent les partenariats avec écoles.
C’est le cas d’Aglomérius qui propose des activités d’écriture sous contraintes (produire des textes en utilisant un certain nombre de mots imposés…) et fédère des classes sur ces projets.
Ces sites ont raison car les écoles sont à l’affût d’idées quant à l’utilisation des NTIC, mais ils sont aussi victimes de la mauvaise réputation que s’est forgée Internet à ses débuts.
On note encore une certaine réticence de la part des adultes dès qu’il est question d’utilisation d’Internet par les enfants. Propagandes, contenus peu recommandables…les parents préfèrent "
garder un œil discret " sur leur progéniture quand celle ci consulte Internet.
Pour se légitimer auprès d’un public adulte souvent méfiant (car souvent ignorant) ses sites préfèrent encore brandir la carte rassurante de l’éducatif.
Et ça marche ! Les écoles répondent présent à ses invitations d’écritures collectives.
Ces expériences sont, d’une part, motivantes pour l’élève qui apprécie le caractère ludique de l’activité et l’idée d’écrire pour être lu et, d’autre part, valorisantes car elles mettent en avant
son école, sa classe et ses compétences personnelles.
De plus, ces pratiques rendent possibles des défis d’écriture intelligents entre classes (une école écrit un chapitre, une deuxième le second, etc.) et favorise les échanges entre
établissements.
Par contre les sites qui revendiquent l’écriture plaisir se font plus rares. Même un site comme Le Prince et Moi, à l’interface très attractive et ludique, ne cache pas ses objectifs :
" Ce site a été spécialement conçu pour les enfants de 5 à 11 ans. Il propose des jeux interactifs et des activités stimulantes dans un cadre soigné et très coloré pour donner à l’enfant le goût
de lire, d’écrire et d’accomplir ces activités avec les autres enfants du monde entier. "
Ici, c’est clairement aux parents que l’on s’adresse et surtout…qu’on rassure !
Au regard des productions qui encouragent la pratique de la langue écrite sur Internet, nous pouvons faire deux constats :
Les expériences de lecture et d’écriture se généralisent sur le web mais restent encore très attachées à des activités scolaires.
Alors que la pratique conjointe de la lecture et l’écriture est vivement conseillée, il n’y a sur le web français aucun site d’histoires interactives ou lecture et écriture sont intimement
liés.
V
– Clicksouris : un site d’histoires interactives pour enfants
De ces recherches, constats et réflexions est né un site Internet : Clicksouris, site d’histoires interactives pour enfants.
A - Naissance d’un projet
1 – Pourquoi publier des histoires pour enfants sur support électronique ?
Comme l’ont déjà prouvé les livre animés sur papier, je pense que l’interaction avec le milieu est une dimension essentielle dans l’évolution de l’enfant. Et cette dimension lui manque dans son
apprentissage de la langue écrite.
Le multimédia, parce qu’il peut combiner image, texte, son, animation…me paraît capable de servir une interface riche en interactivité.
Au regard de ce qui existe actuellement pour les enfants en terme d’histoires interactives sur cédéroms et Internet, j’ai constaté que beaucoup restait à inventer pour faire de l’hypertexte et de
l’interactivité des vecteurs du récit.
2 – Quelles histoires publier ?
Ecrire pour la jeunesse est un art et plus, une vocation.
N’étant pas certaine de pouvoir assumer cette fonction, j’ai préféré m’inspirer de textes écrits par de véritables auteurs pour la jeunesse. De plus cette démarche avait l’avantage de légitimer
et crédibiliser mon travail auprès du grand public.
Quand j’étais enfant, ma maman me racontait des Belles Histoires de Pomme d’Api. Amusantes, émouvantes, toujours bien écrites, ces histoires ont très certainement déterminé mon goût pour la
lecture.
Cette rencontre positive et décisive avec la lecture, j’ai eu envie de la partager avec des enfants d’aujourd’hui. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de republier ces histoires qu’ils n’avaient plus
la possibilité de découvrir.
Puisqu’il s’agissait de faire découvrir à des enfants d’aujourd’hui des histoires écrites il y a plus de quinze ans, pourquoi ne pas les faire revivre sur les supports d’aujourd’hui ?
De plus, j’écrivais plus haut que l’adaptation d’un livre sur support électronique ne se justifie que s’il y a interactivité. C’est ainsi que j’ai décidé d’ " hypertextualiser " ces histoires ou
de m’en inspirer pour les premières histoires interactives de Clicksouris.
3 – Pourquoi publier sur Internet ?
Le support Internet s’est rapidement imposé pour Clicksouris au détriment du cédérom pour trois raisons principales.
Comme nous l’avons constaté, la publication d’histoires où l’enfant est amené à agir et interagir pour progresser dans le récit est très pauvre sur le réseau. Alors que les productions sur
cédérom (même si la pertinence de l’interactivité reste contestable…) sont nettement plus foisonnantes. Essayer de combler ce manque a été ma première motivation.
Comme nous l’avons vu plus haut, l’interactivité devient maximale quand l’enfant peut devenir tour à tour lecteur et auteur de son récit. Grâce à Internet, l’enfant devient vraiment acteur de
l’histoire puisqu’il en détermine le déroulement, et auteur car grâce au courrier électronique, il peut donner sa propre version du récit et la voir publier. La motivation est accrue,
l’implication est totale.
Cette double dimension de l’interactivité, cette double approche lecture écriture prenaient vraiment sens avec Internet.
Enfin, outre les facilités d’édition que permet le réseau, Internet facilite la dialogue directe entre le lecteur et l’auteur. Durant le dernier Salon du Livre, j’interrogeais des auteurs afin de
connaître leurs motivations à se rendre dans ces manifestations. La plupart me répondait que c’était le seul moyen qu’il connaissait pour entrer en contact avec leurs lecteurs.
Jean Noël, lors d’une interview menée par Club Internet à l’occasion de ce même salon disait :
" Pour un auteur, la possibilité d’échanger avec son lectorat est une récompense plus agréable et, surtout, plus constructive que la seule récompense d’un chiffre d’affaires "
Editer ce site d’histoires interactives sur Internet était une nécessité par rapport à mes objectifs d’écriture collective, mais entrer en contact avec mes lecteurs a été aussi très
constructifs.
Leurs avis m’a aidé à élaborer ce mémoire grâce aux questionnaires mis en ligne, à adapter le site à leurs besoins, à entrer en contact avec des professionnels…et quelle satisfaction que de lire
les propos de cette petite fille de 5 ans : " Je t’aime beaucoup car tu m’as fait découvrir de belles histoires. " !
B – Présentation de Clicksouris
Clicksouris est un site Internet destiné aux enfants qui proposent essentiellement des histoires interactives mais également des poèmes et des comptines.
http://www.clicksouris.com
1 – Les objectifs
Clicksouris est un site d’écriture et de lecture plaisir. Ce n’est ni un site d’apprentissage de la lecture, ni une aide scolaire à la pratique du langage écrit.
Il ne revendique aucun objectif éducatif ou didactique mais s’efforce néanmoins d’être en adéquation avec les capacités cognitives du jeune enfant et ses besoins en terme de découverte de
l’écrit.
Il permet aux enfants de se familiariser avec les particularités de la lecture de documents hypermédias et a l’espoir de donner, à ceux qui n’ont pas encore eu de rencontre décisive avec la
lecture, le goût de lire.
Des objectifs en terme d’interactivité…
Je n’ai trouvé aucun site sur le web français où lecture interactive et écriture collective sont intimement liés.
Mon objectif principal était de proposer sur un support encore peu exploité par la littérature enfantine, un site où les enfants pourraient lire des histoires de façon interactive et y participer
activement en devenant auteur du récit.
Je voulais à la fois exploiter pour la lecture toutes les formes d’interactivité que permet le multimédia et Internet, et pour l’écriture, toutes les facettes de l’imaginaire de l’enfant.
C’est pourquoi chaque histoire explore une forme d’interactivité différente : Le Brin de laine est une combinatoire, l’enfant évolue dans le récit au fil de ses envies et choisi la longueur de
son récit, Dans ma maison est un imagier, une fiction hypertexte qui fait appel à la curiosité de l’enfant, à son désir de tâtonnement exploratoire, quant au Marchand de sable, il sollicite sa
réflexion et son esprit logique.
C’est pourquoi chaque histoire sollicite la créativité de l’enfant de manière différente : avec le Brin de laine, l’enfant est invité à produire un texte en imaginant ce qu’il ferait à la place
des héros, Dans ma maison est l’occasion pour l’enfant de proposer un texte libre et sans contrainte, quant au Marchand de sable, il donne à l’enfant une grande responsabilité, celle de prendre
la place de l’auteur pour inventer la fin du récit.
2 – D’une idée à Clicksouris
Une fois les objectifs définis, le choix d’un nom pour ce site d’histoires interactives s’est rapidement imposé.
Ce nom devait refléter le contenu du site, l’univers enfantin qu’il ciblait, être attractif, facilement prononçable et mémorisable (facteurs essentiels lorsqu’on publie sur Internet !)
Lire sur Internet, c’est lire du bout des doigts, c’est progresser dans le récit en cliquant sur sa souris…clique…souris…je tenais là les mots clés de la lecture d’hypermédias !
3 – La charte graphique
Une fois le nom et le contenu trouvé, il fallait donner à ce site une identité visuelle.
Clique…souris….
Puisque la souris était un des mots clés du site, elle devait l’être aussi sur le plan graphique. Puisqu’il faut cliquer sur sa souris pour progresser dans les histoires, il faudrait cliquer sur
les souris pour progresser dans Clicksouris !
J’ai pensé qu’il serait amusant pour l’enfant de jouer sur la polysémie du mot.
Ainsi, le célèbre rongeur est l’élément récurrent du site, il change simplement de couleur et de position en fonction de la partie du site qu’il illustre.
Les éléments graphiques
Certes la souris est l’élément " nouveau " dans cette nouvelle conception de la lecture. Mais, lire des documents hypermédias et lire des livres sont pour moi des activités complémentaires. Je
souhaitais que l’univers du livre tel que l’enfant le connaît soit aussi présent sous forme de clin d’œil sur le site.
C’est pourquoi la page d’accueil représente une étagère sur laquelle figure des livres et à laquelle on accède par une échelle.
Etagères, livres traditionnels, bois…se voulaient refléter l’ambiance chaleureuse, mystérieuse et gentiment vieillotte de la bibliothèque.
C’était aussi une manière de montrer que livre traditionnel et livre électronique ne sont en rien antinomiques, que dans les deux cas, il est question de lecture.
Les couleurs
Les enfants sont sensibles aux couleurs vives et gaies, c’est pourquoi elles sont très présentes dans la littérature jeunesse.
Ce site aborde la lecture et l’écriture, ces deux activités sont pour beaucoup d’enfants associés au scolaire.
Leur proposer un univers colorés et attractifs est un moyen de les mettre dans de bonnes conditions et leur montrer qu’ici, il n’est pas question de travail, mais de plaisir.
La couleur permet aussi de créer des repères de lecture. Chaque couleur de souris est associée à une partie su site, quand l’enfant clique sur la souris rouge, il se retrouve sur une page sur
laquelle figure cette même souris, avec le même code couleur.
L’identification de la nature des liens est ainsi plus aisée.
Les images
L’image est attractive et a réellement valeur d’information pour un enfant qui débute dans l’apprentissage de la lecture et qui entre dans l’histoire par l’image.
Dans Clicksouris, l’image est tour à tour illustrative, informative, elle est aussi source d’étonnement et donc de plaisir.
L’activation de l’image déclenche une animation, sert de lien vers une autre image ou vers du texte.
L’image est dans Clicksouris un élément déterminant de l’interactivité, même si le texte prime dans la compréhension du récit.
C’est pourquoi, la qualité des illustrations me paraissait déterminantes sur ce site, qu’elles soient réalisées personnellement ou par des illustrateurs professionnels.
4 – La navigation
La navigation était un aspect très important pour moi dans la conception de ce site, pour deux raisons essentielles.
D’une part, en m’adressant à des enfants, non familiers à la navigation sur Internet, il me fallait concevoir un site clair, dans lequel l’enfant peut facilement se repérer et se déplacer.
Pour cela, j’ai essayer de mettre en place plusieurs repères :
· Un code couleur clair pour chaque grande partie du site
· Une page d’accueil claire et explicite qui présente d’entrée les objectifs du site, l’élément récurrent du site qui sert de point de repère (la souris bleue), et un sommaire donnant accès aux
principales rubriques du site.
Avant l’ouverture de cette page, l’enfant est invité à saisir son prénom, ce qui lui permet d’être personnellement accueilli à son arrivée sur le site.
Cette personnalisation contribue à créer un rapport affectif et de confiance entre le jeune lecteur et le site qui lui est proposé.
Un plan du site attractif qui s’apparente à une salle, vers laquelle l’enfant est amené à se diriger dès le début de sa visite. De cette
salle on peut accéder à toutes les parties du site, elle nous informe visuellement et textuellement sur le contenu de Clicksouris.
Des éléments visuels qui servent de repères dans le site. Dans Clicksouris, la souris bleue, présente dès la première page, sert de point de repère à l’enfant qui est invité à la cliquer s’il se
sent perdu. Présente sur de nombreuses pages du site, l’enfant qui l’active se retrouve automatiquement sur une page générale et familière : la pièce qui sert de plan du site.
D’autre part, puisque la lecture interactive se veut une activité de découverte, je souhaitais que le tâtonnement exploratoire caractérise le site dans son ensemble et non, uniquement, dans les
histoires interactives.
Soit l’enfant accède aux histoires de façon directe, en activant le lien " La machine à histoires " sur la page d’accueil, soit il explore la pièce où le guide la souris bleue et peut faire
d’autres découvertes…
Dans une fiction hypertexte, nous ne savons jamais ce que nous cache l’histoire, nous ne savons jamais ce qui se cache vraiment derrière un lien. Je voulais qu’une même part de mystère soit
préservée dans Clicksouris.
BILAN ET PERSPECTIVES
Clicksouris est né parce que je suis convaincue que l’ordinateur et Internet offrent de nouvelles perspectives de lecture et d’écriture qu’il semble difficile de négliger à la fin du XXe
siècle.
Aujourd’hui Clicksouris existe et vit grâce aux nombreuses participations d’enfants qui ont joué le jeu, ont laissé libre cours à leur imagination pour produire des textes, drôles, poétiques,
émouvants, personnels…Ils ont trouvé un espace de liberté pour s’exprimer, communiquer leur créativité.
Leur participation, leur sollicitation pour que le site s’enrichisse sont sans cesse croissantes.
Il vit aussi grâce à l’accueil enthousiaste que lui ont réservé les jeunes internautes et les professionnels de l’éducation.
Clicksouris était au départ une expérience, une conviction personnelle. Je sais aujourd’hui que mes convictions sont partagées et encouragées par de nombreux parents, enfants et enseignants qui
pensent eux aussi que les NTIC représentent de véritables atouts pour donner le goût de lire.
Ils ont surtout compris qu’il était inutile de s’en méfier car la lecture interactive et la lecture traditionnelle ne sont en rien antinomiques mais complémentaires.
Mais un site qui vit est un site qui évolue. Clicksouris s’enrichie régulièrement de nouvelles productions d’enfants qui viennent apporter leurs touches personnelles aux récits.
Il s’enrichit aussi de nouvelles histoires afin de proposer un choix toujours plus large et de nouvelles formes d’interactivités. " Dans ma maison " était une première tentative d’écriture
personnelle… l’accueil favorable de Clicksouris a été une révélation et une vraie motivation pour produire mes propres textes et illustrations. Deux histoires interactives sont aujourd’hui en
préparation visant à une plus grande implication du lecteur dans le récit, où la frontière entre lecture et écriture est de moins en moins perceptible.
Internet a également facilité le contact avec auteurs et illustrateurs pour la jeunesse motivés par la publication sur le réseau et les perspectives de la lecture interactive.
Des pourparlers sont en cours pour un travail en commun…résolvant ainsi tous les problèmes liés aux droits d’auteurs.
Enfin je reste plus que jamais convaincue qu’il n’y a aucun format ni aucun support type pour apprendre à aimer lire. Lire doit être un plaisir. Le plaisir de lire peut naître sur un
écran.
Axelle Desaint
- L’hypertexte de fiction : naissance d’un nouveau genre ? Jean Clément, université de Paris 8, Paris, France
- Apprendre avec les multimédias où en est-on ? sous la direction de Jacques Crinon et Christian Gautellier, Pédagogie Retz, Paris, 1997
- Lire l’hypertexte, Michel Bernard, Université de la Sorbonne Nouvelle, France
- L’école à l’heure d’Internet – Les enjeux du multimédia dans l’éducation, Serge Pouts-Lajus, Marielle Riche-Magnier, Nathan Pédagogie, Paris, 1998
- Les jeunes enfants, la découverte de l’écrit et l’ordinateur, Rachel Cohen, PUF, Paris, 1987
- Texte et ordinateur : l’écriture réinventée ?, Jacques Anis, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, Collection Méthodes en sciences Humaines, 1998
- La lecture et l’enfant, Bruno Bettelheim, Karen Zelan, Collection Réponses, chez Robert Laffont, 2001 (réedition)
- Et pourtant ils lisent, Christian Baudelot, Marie Cartier, Christine Detrez, Seuil, 1999
- Donner le goût de lire, Christian Poslaniec, Editions du Sorbier, Paris, 1990
- Lecture, informatique et nouveaux médias, rapport de L’observatoire National de la Lecture, sous la direction de Jean Mesnager, Paris, 1997
- Computer expérience and cognitive development : a child’s learning in a computer culture, R.W Lawler, Chichester, Ellis Horwood, Ltd. , 1985
- Apprendre à lire au cycle 2, Carole Tisset, Hachette Education, Paris, 1994
- L’ordinateur, un nouveau support pour les premiers apprentissages, J.Pillot, Bulletin I.P.E.M, n°9, janvier 1986
- Lecture sur écran : aspects psychologiques, rapport de T.Baccino, chercheur au laboratoire de psychologie expérimentale de Nice
- Citrouille, Revue trimestrielle de l’Association des libraires pour la jeunesse
- Livres Jeunes Aujourd’hui, revue d’information sur la littérature jeunesse
Je serai ravie de connaître votre avis sur ce thème ou de lire vos commentaires sur ce mémoire. Si vous désirez m'écrire, n'hésitez pas :
adesaint@hotmail.com
Et si vous désirez découvrir clicksouris, faites comme les enfants, suivez la souris !