Illettrisme, analphabétisme, exclusion… comment l’école fabrique les handicapés
Illettrisme, analphabétisme, exclusion… comment l’école fabrique les handicapés | |
Arriver à cinq ou six ans dans une école et y être accueilli dans une langue que sa mère ne lui a pas apprise, est pour un enfant une violence intolérable. Etre confronté à des mots écrits qui ne correspondent à rien dans son intelligence est la promesse de ne jamais apprendre à lire. Bien des réformes, des chartes, des plans se sont succédé; aucun n’a réussi à imposer la nécessité de construire un système éducatif au service d’un développement endogène. Seule une redéfinition de l’éducation sur la base de véritables choix linguistiques et économiques peut constituer un horizon d’espoir pour ces peuples. C’est aussi, à long terme, pour la France la seule réponse sérieuse à une immigration que la désespérance rendra de plus en plus incontrôlable. S’il est une promesse que l’école des pays faussement qualifiés de francophones doit tenir, c’est celle de distribuer de manière équitable les chances de participer utilement à la vie économique et sociale de sa communauté. Cela passe par la maîtrise de la langue maternelle et du français. Sans cela, elle laissera sur le bord du chemin une part de plus en plus importante de sa population et formera des candidats désespérés à l’immigration ou des proies faciles pour le premier prédicateur venu. En insécurité linguistique dans leurs langues maternelles comme en français, ils sont incapables de mettre en mots le monde, incapables de contribuer efficacement au développement de leur pays. Car il ne faut pas croire que, faute de savoir parler, lire et écrire le français, ils maîtriseront leurs langues nationales. Loin de là! Des enquêtes récentes menées au Maroc montrent que parmi 11.000 étudiants des universités de Casablanca, plus de 40% sont quasiment illettrés en français mais aussi en arabe. Incapables de prendre des notes, incapable de lire un article de quelques pages en quelque langue que ce soit. On a ainsi laissé se creuser au sein même de ces écoles un fossé linguistique et culturel qui prive plus de la moitié des élèves de tout espoir de réussite scolaire et rend incertaine leur destinée sociale. Plus de la moitié d’une classe d’âge quittent ainsi les cursus scolaires après moins de cinq ans d’une scolarité qui ne leur a pratiquement rien appris. Ils seront livrés à un monde dangereux dans lequel ils ne sauront pas déjouer les propositions des passeurs cupides et des prédateurs d’âmes qui, les uns comme les autres, les conduiront à la désillusion, à la prison ou à la mort. Echec scolaire, échec professionnel, échec intellectuel, voilà où conduit l’incapacité de mettre en mots sa pensée. La défaite linguistique de l’école de ces pays amis manifeste le renoncement des responsables politiques à former intellectuellement les élèves. Elle dénonce aussi l’échec d’une coopération française inefficace, complaisante et cynique. On prive ainsi la jeunesse algérienne, marocaine, sénégalaise… de tout espoir d’agir utilement et pacifiquement sur son propre monde. Contentons-nous, pour terminer, de citer le problème qui condamne toute réforme éducative à l’échec: c’est le niveau dramatiquement bas des maîtres…
sons maintenant faire l’analyse de l’arabisation de l’école en Algérie et ailleurs. Entreprise délicate, certes! Ouvrant aux pires malentendus; mais analyse nécessaire. N’en doutez point! Si j’avais été ministre de l’Education en Algérie, à l’aube de son indépendance, j’aurais sans la moindre hésitation décidé que l’arabe deviendrait la langue d’enseignement de l’école algérienne. Mais, j’aurais choisi l’arabe dialectal et surtout pas l’arabe classique! Panarabisme et affichage religieux furent les ressorts d’une décision qui signa la faillite de l’école algérienne. Elle eut deux conséquences désastreuses : la première fut de précipiter des élèves ne parlant que le dialectal ou le berbère dans une école qui leur parlait dans un arabe qu’aucun d’eux ne comprenait. La deuxième conséquence est qu’on a choisi une conception de la lecture qui déniait au lecteur la compréhension et l’interprétation. Lire le Coran et le savoir par cœur sont intimement liées à la foi. En imposant cette langue à l’école publique algérienne, on dissuada les élèves de se faire leur propre idée de n’importe quel texte n’ayant rien à voir avec le Sacré. La lecture n’est plus un effort personnel, encore moins l’instrument d’une liberté de pensée, mais le fruit d’une révélation. Se mêlent alors verbe et incantation, lecture et récitation, foi et endoctrinement. Le caractère sacré de l’écrit gêne la compréhension car la quête du sens peut paraître profanatrice et impie. Le respect dû au texte se change en servilité craintive, au point que la compréhension même devint offense. S’ouvrit le risque de ne donner à ce texte qu’une existence sonore, de se contenter de l’apprendre par cœur, en se gardant d’en découvrir et d’en créer le sens. En bref, le choix de l’arabe classique induisit pour le plus grand malheur de l’école une démarche d’apprentissage qui interdit la juste lecture, la juste écriture en arabe comme en français. Ce ne fut donc pas le choix d’une langue nationale que l’on offrit au peuple algérien, c’est un nouveau joug qu’on lui imposa: le religieux remplaça le colonisateur avec la même conséquence désastreuse pour la formation intellectuelle du petit Algérien. Telle est le vrai visage de l’arabisation en arabe classique; elle a privé le peuple de sa chance d’apprendre à lire et à écrire dans la langue de sa patrie et elle l’a empêché d’apprendre la langue française. Au lendemain d’une révolution si chèrement payée, on a empêché le peuple algérien d’exprimer librement dans sa langue ce qu’il voulait pour les enfants de son pays. L’analphabétisme qui en résulta engendra une vulnérabilité intellectuelle aux thèses intégristes. La France a aujourd’hui le devoir de contribuer au combat contre l’analphabétisme au Maroc, en Algérie, au Sénégal et dans toute la «francophonie du sud». C’est là un devoir historique car il nous faut refuser que la langue française, que nous avons jadis imposée dans ces pays, devienne aujourd’hui complice de l’inégalité sociale et de l’échec scolaire. Nous devons coopérer à la refondation d’une école d’ouverture et de tolérance dans laquelle les élèves auront une chance réelle de parler juste, et de lire juste en français comme dans leurs langues maternelles. Nous contribueronts ainsi à les inciter à préférer les arguments aux fusils, la rigueur à l’obscurantisme, la tolérance à l’intégrisme. La dérive meurtrière de l’Algérie qui a dévasté nos cœurs et défié nos intelligences doit nous mobiliser ; car c’est bien en détruisant l’école algérienne que l’on a livré ce pays aux massacres gratuits et à la désespérance.
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